Énigme de finance N° 19
Question : Entre 2004 et 2006, la Fed (la banque centrale américaine) a ajusté à la hausse près de dix-sept fois ses taux courts pour les mener de 1% à 5,25%. Cependant, les taux longs américains sont demeurés stables aux alentours de 4,5%, tombant même en dessous de 4% à la mi-2005. Alan Greenspan, président de la Fed à cette époque, parlant de ce phénomène l’a qualifié de « conundrum » (énigme en français). Pourquoi ce phénomène pourrait-il être qualifié d’énigme ? Et bien plus, quelle(s) sont les explications possibles à cet état de fait ?
Comme premier point, on pourrait se demander qu’est-ce qui fait croire que les banques centrales auraient un quelconque pouvoir à influer sur les taux de marché ? Pour un avis tranché et plus que mitigé sur le réel pouvoir des banques centrales à influer sur les taux d’intérêt de marché, notre lecteur pourra lire les articles suivants du blog du Prof. Damodaran de la NYU STERN[1]. Nous nous contenterons de dire (en profane bien entendu …) que celles-ci influencent les taux du marché de deux principales manières :
- Par l’entremise du taux directeur qui représente le taux auquel les banques prêtent et empruntent auprès de la banque centrale pour leurs opérations quotidiennes. Ce coût de l’argent est retransmis au marché par l’entreprise du crédit bancaire.
- Les interventions directes sur les marchés en rachetant des émissions obligataires sur les marchés secondaires et primaires.
Pour en revenir à la première question, le phénomène semble étrange car il est considéré comme normal d’avoir des taux longs plus élevés que les taux courts. On considère donc qu’une courbe des taux pentue est normal car elle reflète la préférence des investisseurs pour la liquidité. En effet, il est moins risqué de prêter ou d’emprunter sur 3 mois que de le faire sur 30 ans. Le rendement et le risque étant liés, les placements sur 3 mois seront moins rémunérés que ceux sur 30 ans.
Ainsi, une hausse des taux courts devrait en théorie se traduire par une hausse équivalente des taux longs, de manière à avoir une translation parallèle de la courbe des taux vers le haut.
On comprend désormais pourquoi le phénomène opposé est considéré comme une énigme. Plusieurs explications ont pu être fournis pour l’expliquer : ralentissement économique mondial, pression démographique sur la composition des portefeuilles des fonds de pension, baisse structurelle de l’inflation due à la mondialisation, etc.
La réponse se trouve selon son successeur à la tête de la Fed, Ben Bernanke, dans l’afflux de capitaux étrangers qui cherchent à être placés en dollars. Cette surabondance d’épargne étrangère en provenance des pays émergents notamment et de la Chine en particulier, ont permis aux consommateurs américains de vivre au-dessus de leurs moyens et constitue l’une des raisons sous-jacentes au boom immobilier du début de la décennie 2000.
[1] Liens vers les articles du Prof. Damodaran (cliquer ici et là)